L’évolution du bien-être au travail en Belgique de 1946 à 2027

L’évolution du bien-être au travail en Belgique de 1946 à 2027

Evolution du bien-être au travail en Belgique - Sébastien Debrulle
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Pour commencer, qu’est-ce que c’est pour vous, le bien-être au travail ?

Si on m’avait posé cette question au début de ma vie professionnelle, je pense que ma réponse aurait été : « c’est le fait de ne pas être trop stressé » et j’aurai probablement eu une moue incrédule traduisant le sentiment : « qu’est-ce que le bien-être vient faire dans le monde du travail ?… on est là pour bosser, pas pour se faire masser… ».

Comme pas mal de personnes, je n’avais pas la moindre idée de ce que recouvrait « le bien-être au travail« .

Certes, avec les années, les mentalités évoluent. Aujourd’hui, en y réfléchissant, je dirai que le bien-être au travail est un ressenti personnel positif qui résulte de ma vie au travail. (Edit : finalement, j’ai trouvé la définition du bien-être au travail de l’OMS qui me convient assez bien. Cliquez ici pour la lire.)

Je ne vais pas développer en profondeur cette notion (du moins pas dans cet article) parce qu’étant formé et exerçant à temps plein dans le domaine du bien-être au travail, je risque de tomber dans un définition peut-être un peu trop formatée, un peu trop académique, probablement moins spontanée.

Et vous ? dites-moi en commentaires ce que vous entendez par « bien-être au travail », quelle est votre définition et surtout quelles sont les conditions à respecter pour votre bien-être au travail !

On ne connaît pas complètement une science tant qu’on n’en sait pas l’histoire

Auguste Comte

Comme je prépare actuellement un livre et une formation sur le bien-être au travail des policiers, cette citation d’Auguste Comte tombait à point. J’ai une (très) bonne connaissance de la législation actuelle du bien-être au travail. Cependant, il me manque la réponse à certaines questions :

  • pourquoi a-t-on un « code du bien-être au travail » ?
  • pourquoi y a-t-il 7 domaines du bien-être au travail ? (et pas 6 ou 8 ?)
  • pourquoi mon titre de fonction est « conseiller en prévention » ?

Et notamment une question peut-être encore plus intéressante :

Quel est le futur du bien-être au travail ?

D’après mes recherches, je pense qu’on peut diviser l’histoire de la législation en matière de bien-être au travail en 4 grandes phases :

  • La phase 0 : Avant 1946
  • La phase 1 : A partir de 1946, avec l’apparition du Règlement général sur la Protection du Travail,
  • La phase 2 : A partir de 1996, avec la publication de la loi relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail,
  • La phase 3 : A partir de 2017, avec la publication du code du bien-être au travail.

La phase 0 : avant 1946

Je pense qu’il faut commencer par se remémorer qu’à cette époque, le travail est majoritairement ouvrier. En Belgique, nos industries de prédilection sont le textile, le charbon ou les mines.

J’ai ainsi pu retrouver la loi sur les mines, minières et carrières du 15 septembre 1919 dans laquelle il est prévu par exemple, que « les concessionnaires doivent établir des bains-douches mis à la disposition des ouvriers« .

A mon avis, c’est une des premières fois où l’on peut voir que la législation prescrit quelque chose de spécifique pour le bien-être des travailleurs, même si les conditions de travail semblent déjà avoir été questionnées à l’époque de l’Antiquité.

La phase 1 : Entre 1946 et 1996 – Le Règlement général pour la Protection du Travail

En 1946, le 11 février, apparaît le Règlement général pour la Protection du Travail, le fameux RGPT, qui rassemble l’ensemble des prescriptions publiées jusqu’alors et qui sera modifié, complété avec le temps.

Ce qu’il faut retenir du RGPT, c’est qu’il est composé de prescriptions techniques à respecter et d’interdictions. Ce sont des prescriptions de moyens et on suppose que si l’employeur respecte ces moyens, alors la sécurité et la santé des travailleurs et des travailleuses seront assurés.

Exemple de prescriptions de moyen : « si une chaudière se compose de soupapes de sûreté, le diamètre des soupapes ne peut être inférieur à 18 mm ou supérieur à 100 mm« .

A cette époque, on ne parle pas encore de bien-être au travail, mais de sécurité et de santé. Ce sont notamment ces termes qui ont été repris dans la loi du 10 juin 1952 concernant « la santé et la sécurité des travailleurs ainsi que la salubrité du travail et des lieux de travail« .

Avec la salubrité du travail et des lieux de travail, l’hygiène prend également ses lettres d’or. C’est dans cette deuxième phase qu’apparaît notamment la médecine du travail et les services de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail.

Deux grands facteurs ont poussé à une certaine révolution de la législation en matière de bien-être au travail. D’une part, très clairement la nature du travail a changé, avec une tertiarisation grandissante et d’autre part, une directive européenne importante a vu le jour.

En 1989, le 12 juin, le conseil européen publie la directive cadre 89/391/CEE concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs. 

En 8 pages, les fondamentaux de la sécurité et de la santé au travail sont posés. S’agissant d’une directive cadre, elle se devait d’être complétée par des directives plus précises, c’est ainsi que dans la foulée sont apparues d’autres directives, concernant notamment : la directive 89/654 sur les lieux de travail, 89/656 sur les équipements de protection individuels, 90/270 sur les écrans de visualisation

Ce sera au total pas moins de 24 directives spécifiques qui viendront compléter la directive cadre.

De manière générale, les directives particulières permettent de développer la directive cadre selon 6 aspects : 

  • des tâches spécifiques comme la manutention manuelle de charges,
  • des dangers spécifiques comme l’exposition à certains agents physiques,
  • des lieux de travail spécifiques comme les chantiers temporaires ou les bateaux de pêche,
  • des groupes spécifiques de travailleurs comme les femmes enceintes ou les jeunes travailleurs,
  • des aspects liés à l’organisation du travail comme l’horaire du temps de travail.

La directive cadre est à la base des principes communs et des normes minimales d’application dans toute l’Union européenne :

  • L’évaluation des risques,
  • Les mesures préventives,
  • l’information des travailleurs,
  • la formation,
  • la consultation,
  • une participation équilibrée.

La personne phare pendant cette phase 1 est le chef SHE (Sécurité, hygiène et embellissement des lieux de travail), et il/elle travaille dans le service SHELT, le « LT » rajouté signifie « lieu de travail ».

Cependant, comme dit plus haut, avec l’arrivée de la directive cadre, beaucoup de choses allaient changer. C’est ce qui nous pousse à passer dans la phase 2.

Phase 2 : entre 1996 et 2017 – la loi relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail

La grande révolution, c’est lorsque le 4 août 1996, la Belgique publie la loi relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

Cela fait une grosse distinction avec ce qui existait dans le Règlement général pour la Protection du Travail. En effet, ce dernier prévoyait des prescriptions bien précises et par là, le législateur postulait que si l’employeur respectait la norme, alors, le bien-être en résulterait. Ou plus précisément « la sécurité, la santé, l’hygiène… » vu qu’en phase 2, on ne parle pas encore de bien-être au travail.

La grosse révolution de cette loi et des ajouts légaux qui vont suivre, c’est de reconnaître l’importance de l’ergonomie et des aspects psychosociaux du travail.

L’expression « bien-être au travail » a été choisie comme concept parapluie pour résumer l’ensemble des spécialités qui interagissent pour garantir un travail sûr et sain.

C’est ainsi que les comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail seront désormais appelés les comités pour la prévention et la protection au travail.

Le service Sécurité, Hygiène et Embellissement des lieux de travail change de nom pour devenir le service interne pour la protection et la prévention au travail. Dans la foulée, la médecine du travail va évoluer et devenir le service externe pour la prévention et la protection au travail.

Enfin, le chef SHE va non seulement changer de nom, pour devenir le conseiller en prévention, mais la nature de son travail va profondément changer car la portée de la loi va changer.

En effet, l’objectif du RGPT était de fournir des lignes directrices à suivre, en espérant qu’il en résulterait la sécurité et la santé au travail. Le chef SHE était donc le surveillant du respect de ces normes. La loi va induire un changement de mentalité. Fini le chef SHE qui surveille, on passe au conseiller en prévention qui assiste, qui participe, qui… conseille !

Le 11 juin 2002 est publiée la loi qui prévoit les mesures à prendre par l’employeur en cas de violences ou de harcèlement au travail. Ce sera la première graine juridique plantée en matière d’aspects psychosociaux.

Quelques années plus tard, en 2007, apparaît la loi qui introduit le concept de charge psychosociale, dont les cas de violences ou de harcèlements moral ou sexuel ne sont qu’un des aspects. Notre graine plantée commence à devenir un petit arbuste.

Il a fallu attendre près de 7 ans pour voir arriver la loi du 28 février 2014 qui complète la loi du 4 août 1996 en instituant la prévention des risques psychosociaux au travail dont, notamment, la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail. Cette loi propose désormais une définition des aspects psychosociaux du travail qui englobe :

  • l’organisation du travail, 
  • le contenu du travail, 
  • les conditions de travail, 
  • les conditions de vie au travail
  • les relations interpersonnelles au travail

On voit également apparaître le concept de l’analyse des risques qui, cette fois, englobe tous les risques psychosociaux, ainsi que les procédures formelles et informelles.

Désormais, le stress n’est pas un effet de mode au travail, c’est un risque à considérer au même titre que tous les autres risques dans l’organisation.

C’est ainsi qu’entre la phase 2 et la phase 1, le changement est paradigmatique qui pourrait être résumé en trois aspects :

  • La législation passe d’une prescription de moyens à une prescription de résultats, avec l’apparition du concept d’analyse des risques.
  • Les acteurs du bien-être au travail ne sont plus des « contrôleurs » mais des « conseillers »,
  • Les aspects psychosociaux et ergonomiques deviennent des familles de risques à part entière dont il faut s’occuper, au même titre que la sécurité, la santé et l’hygiène au travail.

Phase 3 : à partir de 2017 – le code du bien-être au travail

Le 2 juin 2017, est publié au Moniteur belge, pour une entrée en vigueur 10 jours plus tard, le code du bien-être au travail. Le code reprend la loi sur le bien-être au travail de 1996, ainsi que différents arrêtés royaux, publiés depuis lors, qui viennent la compléter, la préciser.

Il s’agit d’une coordination de textes existants, avec une uniformisation du vocabulaire. C’est en ce sens qu’il s’agit plus d’une évolution que d’une révolution.

A côté de cet objectif de cohérence réside un objectif évolutif. Ainsi préparé, le code du bien-être au travail permet des modifications plus simplement, par exemple en ajoutant des nouveaux dangers qui peuvent apparaître.

C’est ainsi que désormais, le code du bien-être au travail comporte 10 livres : 

  • Livre I: Principes généraux
  • Livre II: Structures organisationnelles et concertation sociale
  • Livre III: Lieux de travail
  • Livre IV: Équipements de travail
  • Livre V: Facteurs d’environnement et agents physiques
  • Livre VI: Agents chimiques, cancérigènes et mutagènes
  • Livre VII: Agents biologiques
  • Livre VIII: Contraintes ergonomiques
  • Livre IX: Protection collective et équipement individuel
  • Livre X: Organisation du travail et catégories spécifiques de travailleurs

Grâce à cette structure, le code du bien-être au travail peut être modifié plus facilement. C’est ainsi que la directive européenne 2020/739 qui ajoute le SARS-CoV-2 comme agent biologique pathogène a modifié la liste de ces agents prévus dans le livre VII du code.

Voici un autre exemple : le contenu de l’arrêté royal du 21 février 2022 relatif aux mesures de prévention spécifiques au travail en cas d’épidémie ou de pandémie paru au Moniteur le 10 mars 2022 a été ajouté au code sous la forme du chapitre VI du titre 2 du Livre I.

Ce que l’avenir nous réserve ?

Au fur et à mesure des années, la législation s’est modifiée pour s’adapter aux nouvelles réalités de travail. C’est ainsi que les risques psychosociaux doivent désormais être traités sur un pied d’égalité avec les autres risques professionnels.

En se posant la question des mutations du travail, nous pouvons anticiper aujourd’hui, ce que deviendront les risques professionnels de demain. Pour nous aider à y arriver, l’Union européenne prévoit un cadre stratégique en matière de santé et de sécurité au travail.

Dans l’Union européenne

Le 28 juin 2021, la commission européenne a publié le « cadre stratégique de l’Union européenne en matière de santé et de sécurité au travail pour la période 2021 – 2027« , vous pouvez le consulter en cliquant ici.

Ce cadre stratégique repose sur trois piliers :

  • anticiper et gérer les changements dans le nouveau monde du travail résultant des transitions écologique, numérique et démographique,
  • améliorer la prévention des accidents et des maladies professionnels,
  • améliorer la préparation à d’éventuelles crises sanitaires futures.

Voici une sélection des objectifs de la commission dans le cadre de ce plan stratégique :

  • moderniser le cadre législatif en matière de santé et de sécurité au travail en rapport avec la numérisation par une révision de la directive sur les lieux de travail et de la directive relative aux équipements à écran de visualisation d’ici 2023,
  • lancer une campagne pour des lieux de travail sains qui portera sur la création d’un avenir numérique sûr et sain, l’accent étant mis sur les risques psychosociaux et ergonomiques,
  • préparer au niveau de l’Union européenne une initiative non législative relative à la santé mentale au travail,
  • assurer un suivi approprié de la résolution du Parlement européen sur le droit à la déconnexion,
  • soutenir la sensibilisation concernant les troubles musculo-squelettiques, le cancer et la santé mentale, ainsi que le harcèlement sur le lieu de travail et les préjugés sexistes.

En Belgique

La législation a évolué suite à l’apport de nouvelles directives européennes mais aussi sur base d’évaluations des besoins des entreprises en matière de prévention. Elle essaye de suivre et de s’adapter au mieux aux nombreuses et de plus en plus rapides transformations du monde du travail.

Sur le site du Centre de connaissance belge sur le bien-être au travail, on peut retrouver les prochaines transformations du travail auxquelles s’attendre :

  • l’évolution exponentielle des nouvelles technologies
  • la mondialisation
  • la disparition du tissu industriel au profit d’entreprise de services
  • l’intensification du travail
  • la féminisation du monde du travail
  • le vieillissement de la population et par conséquent des travailleurs
  • la diversité des travailleurs
  • la précarisation de certains emplois
  • l’allongement des carrières
  • les nombreuses restructurations
  • le new way of work avec des organisations virtuelles
  • le télétravail
  • les opens spaces
  • l’individualisation du travail au détriment du collectif de travail
  • l’éloignement des décideurs économiques du travail réel
  • la souffrance des managers de proximité
  • la perte de sens
  • la conciliation vie privée – vie professionnelle…

Ce qu’il faut retenir

En 1946, le Règlement général pour la Protection du travail rassemble l’ensemble des textes légaux parus jusqu’alors en faveur de la santé et de la sécurité des travailleurs.

En 1989, une directive européenne cadre voit le jour pour poser les fondements de ce que doit être la santé et la sécurité au travail pour tous les employeurs de l’Union européenne. Un des plus grands changements est l’apparition de l’analyse des risques et des mesures de prévention.

Ces deux derniers aspects se démarquent de l’approche prescriptive du RGPT et pousse la Belgique a une révolution législative qui prendra forme en la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

Désormais, les employeurs peuvent compter sur leur service interne de prévention et de protection au travail (SIPPT). Ce SIPPT, composé de conseillers en prévention, agit de manière multidisciplinaire, avec une importance grandissante accordée aux aspects ergonomiques et psychosociaux.

Le cadre stratégique de l’Union européenne en matière de santé et de sécurité au travail anticipe, notamment, les changements numériques, écologiques et démographiques du monde du travail. C’est sur base de ce cadre stratégique que la Belgique se prépare à relever différents défis en matière de bien-être au travail, tels que l’allongement des carrières ou les nouvelles façons de travailler (NWOW – new way of working).

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Dites-moi en commentaire ce qu’est pour vous le bien-être au travail ? Selon vous, quels sont les défis à relever par les employeurs et les travailleurs pour les années à venir ?


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